robert.bitoun@gmail.com

Téléphone: 04 99 66 88 80
 

Mémoire - La réticence dans la psychose

Approche Psychanalytique

« ... In the silence you don’t know, you must go on, I can’t go on, I’ll go on. »,
S. Beckett, L’innommable, 1953.

Taire. Voilà un acte dont nous pensons toujours par avance qu’il est à notre portée de l’accomplir pleinement. Mais suffit-il de garder le silence pour taire ?
Taire n’est pas une chose aisée. Le silence est rarement insignifiant quand il s’agit de taire. A cet égard, l’on pourrait considérer l’inconscient comme la découverte d’une solution. Le refoulement est une forme très sophistiquée du taire puisqu’il implique, non pas un savoir-faire le silence — un savoir-taire — mais d’abord et avant tout un « il ne savait pas » — la séparation du sujet et de ses pensées.
Seulement, ça ne marche pas si bien, il faut toujours recommencer l’opération, continuer... de se taire. Et si nous pensons qu’il est toujours possible de taire, il en coûtera toujours quelque chose au sujet : un symptôme. En somme, le symptôme est ce qu’il en coûte à un sujet de s’être tenu à distance de l’Autre. C’est un savoir-taire qu’une psychanalyse extorquera plus tard à l’inconscient pour en restituer au sujet le procès.

Re-taire. Il y a un savoir taire qui ne s’ordonne ni du refoulement ni de la simple omission. C’est une forme re-tenue du dire et du dit manifeste par exemple dans l’amour. L’amour courtois était un code dont la forme générale était la réticence, la retenue envers l’objet de la conquête. Au fond, toute rencontre supposerait la réticence. Elle donne à la rencontre sa dimension humaine, son style. L’étrange serait une rencontre sans réticence, sans aucune opacité entre un être et un autre. Il est des sujets dont la réticence nous apparaît pour le moins étrange, inhabituelle, bizarre, sans dialectique. Elle augure un désir mort, un retrait en forme de réflexe conditionné par le regard de l’Autre. La réticence comme antonyme du désir. C’est du moins la forme extraordinaire dans laquelle elle a très souvent été décrite dans les observations cliniques. Dans la psychose.

Le cadre qui l’a vue naître, dans sa dimension clinique, était la psychiatrie asilaire et les pratiques carcérales de la fin du XVIIIème Siècle. Sous le signe de la dissimulation, la réticence représentait en quelque sorte la scandaleuse prétention du fou à faire l’autre dupe de son silence ; elle était bien plutôt le dernier bastion du Sujet. La réticence fut l’objet d’une controverse qui dura près d’un siècle. Au coeur du débat, le sujet de la science. D’un côté ceux qui trouvaient légitime de fonder une pratique psychiatrique qui ne se débarrasse pas du sujet. L’on sait aujourd’hui la cause perdue. De l’autre côté, une conception préventive et sécuritaire qui permit à l’aliénisme de s’autoriser comme science.

Nous souhaitons ouvrir à nouveau le dossier concernant cette forme qui oscille entre la figuration d’un sujet maître d’un sens intentionnel et celle d’un sujet aux prises avec une double opacité : celle d’une langue qui se dérobe dans l’indicible et celle que lui oppose bien souvent un réel qui ne cesse pas de ne pas se taire.
L’ensemble de ce travail a donc pour objet de planter les bases d’une construction psychanalytique de ce concept.

Introduction

Restant d’usage principalement psychiatrique, il ne nous apparaissait pas opportun de donner immédiatement à la réticence un corrélat significatif dans le champ psychanalytique. En outre, reconnaître la réticence comme un critère dont il est difficile de se passer dans l’examen de certains sujets psychotiques ne doit nullement nous obliger à ne considérer que sa seule face opératoire (c’est-à-dire diagnostique), si difficilement transmissible. Cette première partie consacrée à la réticence se devait d’abord d’établir une sorte d’état des lieux du paradigme de la réticence. Et même si notre réflexion n’est pas détachée d’une construction possible et proprement psychanalytique de la réticence, cette dernière ne pouvait être considérée indépendamment d’un problème plus complexe au croisement de deux axes principaux ou psychanalyse et psychiatrie collaborent : celui d’une histoire de la psychiatrie qui cherche à fonder son savoir dans un rapport étroit avec la sémiologie médicale mais bien forcé de tenir compte de l’indéniable apport de la psychanalyse — nous verrons jusqu’à quel point la réticence dans sa dernière acception, celle de Daumézon et Huguet (1957), est nourrie d’une conception psychanalytique lacanienne du sujet du signifiant — et celui des entretiens psychiatriques et de leur subversion dans le dispositif de transmission que constitue la présentation de malades tel que Lacan l’a instaurée. Le cadre conceptuel dont nous partons est lui-même inspiré des conditions dans lesquelles il nous à été donné d’entendre pour la première fois le terme "réticence" : la présentation d’un malade.

De plus, ces deux axes révèlent sensiblement le compromis nécessaire entre d’une part, la volonté de savoir, docte ignorante et le « faire savoir » qui anime le psychotique — le Président Schreber n’écrit-il pas dans ses Hauts faits mémorables d’un malade du système nerveux dans le seul, écrivait-il, but de « faire avancer la connaissance de la vérité dans un domaine éminent, le domaine religieux »[1], et d’autre part, entre les conditions de réalisation d’une approche proprement psychanalytique des psychoses et le souci de satisfaire les exigences qui ont, à juste titre ou non, motivées l’entretien : conseil psychothérapeutique, diagnostic, expertise, etc.

La trame générale nous est donnée par l’histoire même du concept : au-delà de la particularité de son évolution — cette curiosité soudaine de certains aliénistes envers ce terme aux intonations secrètes, mais aussi bien le brusque désintérêt dont il fut l’objet pendant de longues périodes (comme ce peut être le cas depuis quelques décennies) — la réticence ouvre à une explication des rapports qu’entretiennent psychiatrie et psychanalyse et la frontière entre ces deux champs se dessine peut-être plus précisément qu’ailleurs dans les présentations de malades. Retracer l’histoire de ce concept dans le champ qui l’a vu naître est aussi une condition pour établir les bases nécessaires à son abord dans le champ proprement psychanalytique. Cette nécessité de reconsidérer un concept selon son lieu d’émergence tient d’abord à la spécificité du phénomène de la réticence : pas de réticence sans qu’une prise de parole soit exigée ou souhaitée à l’intérieur d’une configuration duale. Ensuite, les conditions de possibilité d’une transmission d’un savoir sur la psychose, l’intérêt que présente la concomitance du savoir psychiatrique et du discours analytique ainsi que la possibilité d’un traitement de la psychose qui ne soit pas basé uniquement sur l’authentification des phénomènes morbides, sont autant d’éléments dans lesquels semble parfois s’inscrire en faux la réticence.

Du côté du sujet : la réticence n’est-t-elle alors pas l’expression ou la figure la plus adéquate à ce que Lacan appelait lui-même un mi-dire ; figure même de l’équivoque au coeur de laquelle c’est l’insignifiance du signifiant-Un qui se fait valoir ? Que la réticence, dans sa dimension psychiatrique, soit uniquement imputable aux seules positions subjectives du malade est une question qui reste soumise à notre critique jusqu’à ce que nous ne puissions faire autrement que de nous y résoudre. Mais sans cette critique nous ne pourrions jamais en rendre compte sans confondre la masse des phénomènes d’avec les conditions ou les configurations dans lesquelles elle a pris son relief au sein de la psychose.

Du côté de l’appareil : jusqu’à quel point le couplage d’une sémiologie active (l’approche psychiatrique) et d’une subversion possible de la volonté de savoir et de comprendre (l’approche psychanalytique), est-il possible sans saturer le "désir de témoigner" du malade ? La réticence ne viendrait-elle pas désigner, faire écho, imager ce point limite au-delà duquel le pathologique n’est finalement que la forme dans laquelle vient se refléter une autre limite, celle du savoir et de la vérité (savoir psychiatrique et vérité attendue dans la psychanalyse) ?

[...]

Consultez l'intégralité du mémoire en le téléchargeant ici.

Université paris 8
1ERE ANNÉE DE MASTER DE PSYCHANALYSE
OPTION : RECHERCHE
ANNÉE 2005 — 2006
Directeur de recherche : Gérard Wajcman
Robert BITOUN.
Psychanalyste

  • 1 P. Schreber, Mémoires d’un névropathe, p.11.
Pièce(s) jointe(s):
Télécharger ce fichier (memoire_la_reticence.pdf)memoire_la_reticence.pdf[ ]615 Ko
Joomla SEF URLs by Artio

Toute reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur © 2015 - 2024 Robert Bitoun

website Montpellier