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RENCONTRE AVEC L'ANALYSTE

 

Le poète s'avance et dit : "Il y a deux sortes de gens : il y a les vivants ... et ceux qui sont en mer."

Nous vivons, certes. Et, jusqu'à un certain point - ou moment, nous pouvons dire sans recul :ça va. Nos tracas familiaux, nos intimes embarras, nos bricolages amoureux ne bousculent en rien nos préjugés - ou si peu. Notre sol est praticable et nous y construisons parfois quelque chose qui nous ressemble... un abri, parfois une citadelle. Rien n'ébranle vraiment ce que nous appelons, sans doute à tort, notre réalité et ce qui lui est intimement lié : notre lien à l'autre.

Nous marchons sur les lignes tracées au creux de nos mains.

Celui qui est en mer, lui, connait l'instable, le remous, l'imminence d'un péril, le sentiment que l'édifice n'a pas d'autre fondation que le caprice du réel. Soumit depuis longtemps à tout vent, sans boussole, il est déchiré entre des directions si opposées que le peu de réalité de son être le condamne parfois à une solitude que nous ne comprenons pas. Il dérive sans destination. Il n'a pas de chemin.

Le vivant et celui qui est en mer se côtoient parfois. Ils ne savent pas l'ignorance réciproque qui anime leur rencontre et pourtant, ils croient tous deux se comprendre :

Le terrien dit :"Je comprends ton choix, car il n'est pas d'ivresse sans péril à venir ..."
- Celui qui est en mer répond : "Il n'est pas d'autre repos que le sommeil et la mort, le trop peu de risque nous condamne à l'ennui".

Imaginons maintenant que ces deux portraits ne forment, en fait, qu'un seul et même être. Nous sommes cela. Rien n'y fait. Notre existence reste soumise à ce qui s'oppose à toute volonté de structurer nos vies dans la tranquillité de l'être.

Bien des auteurs ont décrit cette division radicale qui constitue notre être, ce si peu d'être qui nous caractérise. Nous sommes comme une île qui flotterait au dessus la mer. Bercés d'illusions aussi nécessaires que possibles, notre passion ignore le réel opaque qui nous gouverne.

Vient le jour ou rien ne va plus. L'instable devient inquiétant, notre boussole ne montre plus le nord. L'ivresse de la passion ne nous console plus de l'ennui, notre maîtrise est mise à mal. Plus rien n'est sûr, et les mots eux même ne portent plus au sens. Mais surtout : l'autre ne peut plus nous comprendre et nous ne sommes même plus certains d'être reliés à nous même, parfois même ,d'habiter notre corps. Qui peut bien alors nous venir en aide, s'il est exclu que ce soit l'autre ?

Connaissez-vous l'histoire du K de Dino Buzzati ?

C'est l'histoire d'une rencontre... manquée.

Un jeune enfant part avec son père - un grand marin - qui se décide enfin à l'emmener en mer avec lui. Après quelques temps, loin des rives, l'enfant est troublé par une vision qui le terrifie : celle d'un être sortant de mer, mais il semble être le seul à voir. Les marins reconnaissent le trouble de l'enfant et l'indescriptible sensation qu'il éprouve. Ils savent qu'il vient de rencontrer le K.

L'enfant se senti désormais condamné à se tenir loin des rives où toujours l'attendrait cet être angoissant - c'est pour lui un rendez-vous perpétuel avec sa propre fin. Il se détourna de la mer et fit du commerce terrien. Ce n'est qu'au terme de sa vie qu'il se décida à affronter le K. Mais son courage et sa détermination n'eurent malheureusement pas raison de l'océan.

Dans le gouffre ou il s'enfonça, le K vint au rendez-vous et lui adressa en substance ce message : "Je t'ai attendu bien longtemps. Pourquoi as-tu fuis - Je voulais seulement te dire combien ton désir autant que ta crainte auraient pu faire de toi un grand marin"

Le K n'est pas le psychanalyste. Il est ce qui, du psychanalyste, attend au fond de chacun de nous, d'être réveillé.

A celui qui veut savoir ce qu'il en est de son désir et comment
l'ouvrir au dessein d'une vie qu'il ne fuit plus.

Robert Bitoun.

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