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My Favorite Things

John (1926-1967) Coltrane — 33t

My Favorite Things

A propos des choses préférées de Monsieur Coltrane

Tous les rêves se ramènent à un seul rêve, avançait l'inventeur de l'inconscient. Chez les écrivains, pensons-nous, c'est au fond toujours le même livre qui ne cesse pas de s'écrire. Et les musiciens, me direz-vous ? Est-ce qu'ils ne jouent pas toujours le même morceau ? Si l'improvisation est condition du jazz, toujours dans la performance du style, rien n'est alors plus éloigné de l'inconscient, que le jazz — au moins sur ce point. je n'en crois rien. Il y a des obsessionnels de la réitération, de la reprise, de la répétition. Coltrane par exemple, ne s'inscrit-il pas en défaut par rapport à cette mouvance free des années 60 ?

"My Favorite Things", vous connaissez ?

New York, 1960-10-21, Atlantic
Orchestre : John Coltrane (Soxophone Ténor et Soprano), McCoy Tyner (Piano), Steve Davis (Bass), Elvin Jones (Drums)

L'histoire de My Favorite Things commence au début de l'été dans un nouveau club à la mode de New York, la Jazz Gallery. A l'affiche, "John Coltrane Quartet", la formation la plus célèbre de John Coltrane. Coltrane y joue en compagnie de son nouveau quartet, celui qu'il ne quittera plus — avec le mélodieux pianiste McCoy Tiner, l'inégalable Elvin Ray Jones dont on peut dire qu'il a su renforcer cette atmosphère de folle contestation déjà bien présente chez Trane et enfin le contrebassiste Steve Davis, rapidement remplacé par Jimmy Garrison.

C'est un habitué du lieu qui, un soir, lui tendra une partition, celle de My Favorite Things — Valse confectionnée par Richard Rogers et Oscar Hammerstein (interprétée par Julie Andrews dans la comédie musicale du même nom). Ce soir-là, Coltrane est en veine. Jones lui donne des ailes en transposant solennellement l'intro. Coltrane y pourra coller tout en dramatisant le thème. Mais disons-le tout de suite, ce vieux standard de Rogers vaut à peine mieux qu'Hello Dolly (sur la partition, "s'entend"). Pourtant, Trane s'y laissera complètement hypnotiser — plus, il prend ce morceau très au sérieux. Embouchant un soprano et non un ténor, Trane va destruscturer puis restructurer ce morceau.

Avec son nasillard du soprano qui ressemble assez au Zoukra, Trane va tranquillement faire exploser le binôme majeur/mineur occidental et poser les bases du jazz à venir à travers ce véritable manifeste du jazz moderne. Deux mots sur ce choix. Du soprano, Coltrane n'en avait alors joué qu'une seule fois en studio à l'occasion de l'enregistrement de The Avant-Garde en 1966, sorti sur le label Atlantic.

Pour J.C., le choix de cet instrument lui parut aller de soit, et ce, dès le premier jet. Le soprano exige (pour lui) une pince des lèvres particulière, plus serrée que celle du ténor, ce qui risque à la longue de modifier le "jeu de pince" avec le ténor.

Risque dont Trane est très conscient. Il semble jouer du soprano comme d'un ténor. Alors pourquoi le soprano ? Sans doute qu'avec cet instrument Trane s'autorise. Faire du soprano le jouet dont il peut jouir, d'une jouissance sonore dont les débordements irruptifs commencent, entament, l'esthétique blanchâtre du jazz occidentalisé, là est peut-être, en dehors de la référence implicite à Bechet, la véritable raison de ce choix.

Coltrane enregistre pas mal en 1960. Soit un an après Giant Steps le "Quartet" enregistre en moins d'une semaine trois albums chez Atlantic parmi lesquels une tornade : My Favorite Things. Il retravaille en 13 minutes anthologiques ce morceau joué durant l'été. Trois enregistrements — il y en a quatre si l'on compte celui du festival d'Antibes Juan-les-Pins en juillet 1965 et même une 5ème sous le label Impulse — New thing at Newport (1965) — viendront acréditer cette répétition obsédante : celui qui sert de pretexte à cette fiche, celui de l'album Selflessness (juillet 1963) et celui de l'album Live At The Village Vanguard Again (mai 1966). Durant des années, sur scène, comme en studio, il n'aura ressassera cette rengaine profondément vrillée par le souffle de son désir.

Plus que contradictoire, la forme en est discordante. Elle oblige la science des harmoniques à transcender un autre thème, celui-là même de sa propre révolution. Ne nous y trompons pas : du thème jazzifié de Rogers, il ne restera qu'un lambeau, qu'une trace, qu'une possible identification, au-delà de laquelle Trane souffle sur la jazzité recommandable du milieu. Dès le premier enregistrement, la critique en sera irritée, voire scandalisée, dénonciatrice d'un jazz qui ne serait plus du jazz. My Favorite Things est aussi foncièrement emblématique de l'obsession coltranienne, courageuse, celle qui consiste à éviter de figer un thème en un développement parfait et ce, sans tomber dans l'ornière du "tel qu'il devrait être joué parfaitement".

Il faudra donc toujours recommencer, parce que jamais on ne l'aura vraiment joué.

Au fond, de ses choses préférées, Trane ne nous dit pas autre chose que ceci : jouer — encore — , My Favorite Things, c'est la Chose que je préfère. Certes, il y élève l'objet à la dignité de la Chose. Il y a là une vraie jouissance, un plaisir qui dépasse les propres obsessions du maître en visant ce point jamais atteint, et pourtant atteint, lui a-t-il semblé un instant. (...) ? Mais non. Il faut recommencer... Encore.

Robert BITOUN.
Psychanalyste

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