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Giant Steps

John (1926-1967) Coltrane — 33t

Les étapes géantes de Monsieur Coltrane.

Avec Giant Steps, John Coltrane pousse et use l'utilisation des grilles d'accords, celles-là même qu'il répétait à l'infini, dont il s'imprégnait pour découvrir leur extrême limite. Son passage, en 1957, chez Monk lui a permis d'atteindre une grande liberté : on sait que, lors des concerts, Monk abandonnait de façon impromptu son trio et allait déambuler sur scène en esquissant quelques pas de danse. Coltrane en profitait pour sortir des solos qui dépassaient parfois les vingt minutes : sa maîtrise des grilles atteignait ainsi les sommets.

Le disque est en quelque sorte la dernière étape d'une approche totalisante (avec "Coltrane's Sound" et "Coltrane Jazz", enregistrés dans la foulée). Giant Steps marque également une évolution, un moment charnière, s'il en est, dans le son de celui que les critiques surnomment "le jeune homme en colère". Il expérimentait déjà à cette époque des anches plus dures pour monter en puissance et travaillait ardemment sur la colonne d'air, ce qui lui permettait de souffler de façon quasi permanente. Giant Steps marque donc en même temps l'achèvement d'une période de l'histoire musicale de John. Point à la fois culminant et re-départ vers d'autres horizons.

New York, 1959-01-00, Atlantic
Orchestre : John Coltrane (Saxophone ténor), Tommy Flanagan (piano), Paul Chambers (Basse), Art Taylor (Batterie)

Lorsque Giant Steps est édité en france, il est immédiatement tenu pour être la pointe du Jazz contemporain. Ce n'est pas faux en soi, mais peut-être un peu réducteur, tapageur. Deux lectures sont possibles, compossibles, de cette oeuvre majeur. L'une accrédite l'aspect avant-gardiste et suppose que Giant Steps est le laboratoire d'une expérience fortement maîrisée; l'autre, qui me semble tout à fait plausible aussi : Giant Steps comme passage (pas-sage du tout) et passage qui amorce plus qu'il n'annonce la problématique de ce que l'on appellera "Coltranisme". La première comme la deuxieme lecture emporte avec elle la question liée à ce que devra être la formation la plus adaptée, celle qui sert et serre au plus près le jeu de Trane.

Argument de la première lecture : Coltrane a su très tôt déchiffrer que les développements du jazz sont encadrés dans un système qui balise et endigue la propension propre au jazz à sortir de lui-même. Ce balisage est en quelque sorte auto-conservateur. Il assurerait non pas l'unité du jazz, mais sa forme. L'obsession coltranienne correspond alors à cette double injonction : ne pas sortir de l'épure, mais repousser les limites le plus loin possible sans toutefois transgresser; la saturation, l'enchaînement modal est une marque de cette tentative. C'est très présent dans GS.

Pour ce qui serait du passage : Coltrane sait aussi, du moins nous ne pouvons en douter ici, que l'évolution qu'il donne à son jeu — jeu obsédé des limites — contient en germe ses propres limites.

Ici se marque le tragique qui traverse son oeuvre avec une telle densité. Giant Steps voudrait affirmer dans un jeu en déluge, dans de raides paliers — c'est déjà intimement son jeu — la coexistence permanente de l'ouvrage en train d'accomplir sa fin (dans les deux sens du terme) et l'effort que constitue le déplacement incessant de celle-ci. Si l'on en croit les biographes, avant sa sortie, Giant Steps se donnait des allures d'Annonciation — non pas révélatrice du jeu coltranien tel qu'il devra être par la suite, mais plutôt d'une nouvelle ère du jazz. Non pas un jazz libéré mais libérateur, semence fécondante et rayonnante, et ce, peut-être moins pour Coltrane que pour ses suiveurs. On se souviendra d'un album de Archie Sheep, Four for Trane, qui accomplit en quelque sorte le voeu qui se lisait dans Giant Steps. Sheep le fera avec une telle ferveur qu'il suture l'architecture de Giant Steps en la désarticulant.

En effet, Giant Steps se veut fondateur d'une forme de mise en scène, ou plutôt d'une monstration du jazz vue comme recherche, construction. Pour cela il se doit d'apparaître plus comme une ouverture qu'un ouvert, plus une exposition qu'un offert. Il conjoint dans ses constructions-deconstructions, le multi-instrumentisme sans sortir pour autant des harmonisations (des climats) car il ne sagit pas ici d'élargir le langage du jazz mais "seulement" montrer que les éléments, les bases coltranienne sont là. Reste à retrouver la cohérence, à les trier, à en retrouver l'épure. La difficulté est immense puisque ce que Coltrane doit trouver par delà le multi-instrumentisme c'est une rythmique qui ferme le discours sans le court-circuiter, sans redoubler la forme,sans faire plier la rythmique au jeu de l'improvisation qui, on le sent, est prête à exploser le cadre de l'exposition.
Ici interviendra Elvin Ray Jones.

Robert BITOUN.
Psychanalyste

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